Valse avec Béchir

mai 10, 2018 Anne Francoeur 6 Comments

Il y a un rêve que je fais sans cesse.  Un insecte se glisse entre l'oreiller et mon cou, mais je suis incapable de me lever, paralysé.  Dans la tente "confortable", je fais à nouveau ce rêve, mais je ne sais pas si c'est la réalité ou un cauchemar.  Je me réveille en sursaut, la porte de la tente est ouverte.  Quelqu'un entre!  Ça y est, on est attaqués par une tribu berbère!  Mais non, c'est juste Éric qui a trouvé le courage d'aller aux toilettes en pleine nuit.  Je tente de me rendormir, gardant un oeil ouvert sur les nouvelles bestioles qui ont dû pénétrer dans la tente.  Vers 5h, la pluie se met à tomber, mais au réveil, rien n'y paraît.

Gabriel Garcia Marques a écrit que le sable du désert est si fin qu'il s'infiltre partout, même dans nos mémoires (ou un truc du genre).  Je doute qu'il soit un jour venu en Tunisie, mais il ne pouvait pas si bien dire.  Il y a tellement de sable dans la tente, sur nos valises, sur nos vêtements.  J'ai des larmes de sable séché au coin des yeux.  Je vais certainement retrouver du sable dans mes bagages au retour à Montréal (peut-être aussi un ou deux scarabées!), mais c'est sûr que les images du désert sont gravées à jamais dans ma mémoire.

Nous quittons de bon matin.  Heureusement, la route nous paraît moins pénible.  On semble s'arrêter juste pour dire qu'on ne passe pas la journée dans la voiture.  L'habitation troglodytique que nous visitons à Matmata me semble aussi authentique que l'hôtel Sidi Driss où un des épisodes de Star Wars a éte tourné.  Toujane est un village démoli traversé par la route nationale.  Les quelques habitants nous regardent avec un air inquiétant, et le miel vendu dans des vieilles bouteilles d'eau n'inspire aucune confiance.  Pour ces pauvres gens, la seule activité est de partir.

Béchir n'a rien de ce qu'il faut pour être guide.  D'emblée, il lui manque la passion de son pays.  J'ai senti plus d'amour pour la Tunisie chez Amine et Chaïma, qui l'ont pourtant quittée, que chez cet homme qui l'habite toujours.  Raciste ce Béchir , on en a souper de ses commentaires sur les Lybiens qui envahissent la Tunisie, mais le pire est l'aversion qu'il a pour son propre peuple.  Je ne pensais pas qu'on pouvait entendre des choses aussi dures sur les musulmans en dehors du Québec, et certainement pas dans un pays du Maghreb. 

Et puis il y a ce que j'appelle le jeu des vitres.  Des centaines et des centaines de kilomètres avec les fenêtres de la voiture baissées, je n'en peux plus.  On ferme tout Éric et moi, et il n'y a que Béchir qui garde sa vitre ouverte.  Habituellement après une visite, on revient dans la voiture et la petit manège recommence, il ouvre les vitres, on les ferme.  Mais voilà qu'à Toujane, il verrouille les fenêtres pour nous empêcher de les fermer.  J'explose ( mieux vaut moi qu'Éric), et le pire est qu'il fait l'innocent en faisant mine d'ignorer l'existence de ce petit bouton qui permet au chauffeur de tout contrôler.  Je sais que cette valse avec Béchir pour dominer l'ouverture des fenêtres est un combat sans fin qui durera jusqu'au tout dernier jour.  Il me fait un peu pitié cet homme qui parle de faire exploser les mosquées.  La haine contre la haine, c'est ça la solution?   En plus, il conduit comme un pied! Il se place souvent à droite sur la route (il nous a expliqué sa théorie comme quoi la chaussée est de meilleure qualité de ce côté), mais moi ça me donne surtout la frousse.  Depuis qu'on s'est retrouvé dans la voie d'évitement de droite dans le coin de Tozeur (coup de vent, bref endormitoir?), je ne ferme plus les yeux une seule seconde dans la voiture.  Il a les réflexes d'un koala, et apparemment, c'est toujours la faute des autres.

À la suggestion de Béchir (il n'est pas qu'imparfait), nous nous arrêtons à Médénine, une visite qui n'était pas prévue au programme.  On s'asseoit au premier resto trouvé. Je commande du riz djerbien, mais pas question que je touche à ces merguez dont l'intérieur n'est pas cuit.  L'odeur qui règne dans ce boui-boui est indéfinissable.  Est-ce l'assiette de tête de mouton que notre voisin mange?  Nous sommes venus pour le ksar de Médenine, ancien grenier collectif dont les cellules (ghorfas) étaient utilisées pour engranger les grains.  La vue de ces bâtiment est pour le moins pittoresque, et unique en son genre.  Nous montons même sur le toit pour prendre quelques clichés, avant de s'aventurer dans la partie arrière.  Toujours utilisé aujourd'hui, je peux vous garantir que ce ne sont pas des graines qui y sont entreposées de nos jours, j'opterais plutôt pour des dizaines de chats morts.  L'odeur, l'odeur!  Quand nous sortons, plus de traces de Béchir.  Nous poireautons sur le coin d'une rue dans cette ville que le Canada indique comme dangereuse (éviter tout voyage non essentiel, pas que ça nous arrête d'habitude, mais quand même).  Il sort d'une ruelle avec un sac, il a fait des emplettes...

C'est par la chausée romaine que nous faisons notre entrée sur l'île de Djerba.  Bien installés à l'hôtel Dar Dhiafa, nous explorons le quartier du village de Erridiah, dont les murs blancs sont couverts de graffitis (street art) tous plus beaux les uns que les autres.  On pousse l'audace à prendre de l'avance sur la journée du lendemain en visitant la synagogue de la Ghriba (l'étrangère) dont les origines remonteraient à 586 avant Jésus-Christ.  La petite communauté juive de 700 personnes en prend bien soin, surtout depuis l'attentat qui a tué 19 personnes en 2002.






































6 commentaires:

  1. On pourrait nommer la Tunisie "50 nuances de bleu" telles que les magnifiques photos le démontrent. Très jolie la chambre, etait-ce votre chambre dans le désert ? Aussi très belle, ce qui je crois, est une mosquée.

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    1. La chambre est une pièce de l'habitation troglolityque réservée à la première nuit d'amour. Elle est ensuite condamnée pourla vie.

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    2. C'est la synahogue de la Ghriba.

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  2. J'aime bien cette phrase: "J'ai senti plus d'amour pour la Tunisie chez Amine et Chaïma, qui l'ont pourtant quittée, que chez cet homme qui l'habite toujours."
    Quel être détestable ce Bechir,vraiment, vous ne le regretterez pas...

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  3. Tu as assez de belles photos de portes tunisiennes pour en faire un album!
    Et tu n'es pas encore arrivé au Maroc...

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