Depuis que nous sommes arrivés en Tunisie, Chaïma se donne un mal fou pour respecter mon itinéraire.  Dans la médina, elle ordonne à Rahma de nous conduire à tel ou tel endroit que j'ai indiqué.  À Bizerte, elle recherche une fontaine dont j'ai complètement oublié l'existence (et toute la ville aussi d'ailleurs).  Elle aboie au groupe "en français les amis" quand l'arabe prend le dessus.  Elle a toujours sur la conscience l'échec de la visite de l'hôtel Majestic. Tellement qu'elle s'est confiée à Sofiène qui lui a expliqué que l'intérêt de l'endroit était l'intérieur inspiré des années 20 et qu'elle insiste pour y retourner.   Ceux qui voyagent avec moi connaissent ma fameuse réplique "T'as pas lu l'itinéraire!?" dit sur un ton sans équivoque quand on me pose une question de trop sur les activités de la journée.  Eh bien, pas besoin de sortir ça avec Chaïma!  Tous les efforts sont mis en oeuvre pour nous faire passer un bon moment.  Et que dire d'Amine!  Prêt à nous conduire n'importe où n'importe quand.  Il ne se laisse jamais convaincre quand nous tentons de lui éviter quelques kilomètres en prenant un taxi.  Dimanche soir, il nous a conduit à Sidi Bou Saïd en passant par notre hôtel pour nous permettre de nous changer (j'avais peur d'avoir froid).

C'est plus calme ce matin dans le petit village de Sidi Bou Saïd que dimanche en fin de journée.  L'intérêt principal est de flâner dans les ruelles en admirant les portes bleues qui tranchent sur les murs blancs.  Comme si un petit morceau de la Grèce avait été transplanté à Tunis.  Perché sur la falaise, Sidi Bou Saïd offre de beaux points de vue sur le golfe de Tunis.  Nous sirotons le traditionnel thé aux pignons du Café des nattes.  Amine et Chaïma ne sont malheureusement pas avec nous cette matinée, visite obligatoire chez le médecin avec Sofia qui saigne du nez depuis le vol de Montréal.  On communique par texto et, après l'enregistrement à la villa bleue, on se rejoint au resto Au bon vieux temps (qui, comme son nom l'indique, était bon dans le temps, mais ne l'est plus).  Baya est avec eux, de même que deux des trois enfants d'Imène, Annas et Fatma.  Je picosse mes briks aux oeufs pendant que les enfants dévorent un spagetthi aux fruits de mer que je reluque avec appétit.  La conversation tourne en rond, car on n'arrive pas à décider comment passer l'après-midi, déjà bien entâmée grâce à la lenteur extrême du service.  Chaïma finit toutes ses phrases par : "Mais c'est vous qui décidez".  En guise de punition, on décide donc de la laisser à Sidi Bou Saïd avec les 3 enfants (la pauvre!), et on part visiter le site archéologique de Carthage.

Carthage signifie "ville nouvelle", alors que Utique, le site visité dimanche dernier, signifie "ville ancienne".  Mais quand il s'agit de ruines, nouvelle ou ancienne, ça ne fait pas une grande différence.  Carthage remonte au 4e siècle avant Jésus-Christ, et s'enorgueillit d'avoir fait tremblé Rome.  Avec sa puissante armée et ses éléphants de combat, Hannibal marche vers l'Italie en traversant même les Alpes.  Mais les renforts qui ne viendront jamais auront raison des désirs de conquête des Carthaginois, aussitôt annexés à l'empire romain et nommée capitale de la province Ifriquiya. 

Les vestiges de Carthage sont peu nombreux et étonnamment dispersés.  Le théâtre romain est un endroit surtout connu pour les concerts qui y sont présentés l'été, Amine attrape donc un bout de bois et se lance dans une performance applaudie par les deux seuls touristes autres que nous sur les lieux.  Ni Google Maps ni les indications de la ville ne réussisent à nous mener au site des thermes d'Antonin.  Il faut qu'Amine repère les sempiternels vendeurs de poteries tunisiennes pour trouver les bains dont il reste quelques colonnades.  Ce n'est certes pas le site punnique de Magon qui nous permettra de comprendre de quoi avait l'air une demeure de l'époque, même le vendeur de tickets a déserté les lieux.  Google nous entraîne sur la colline de Byrsa par le chemin le moins fréquenté et le moins carrossable.  On accède a la Cathédrale Saint-Louis par l'arrière, arrivant par une route de pierres qui, j'en suis sûr, a causé la crevaison qu'Amine devra faire réparer le soir-même.  La façade de la cathédrale de 1884 est jolie dans la lumière de fin de journée, mais son intérieur est complètement vide.  Sur le chemin du retour, Amine tient à nous montrer le cimetière américain, un immense parc où des centaines de croix parfaitement identiques (sauf celles des Juifs, coiffées d'une étoile) sont alignées à la perfection.  Obligé de laisser mon appareil photo au garde à l'entrée, je mets fin rapidement à la visite pour le récupérer.

Nous rejoignons la patiente Chaïma à Sidi Bou Saïd.  Les enfants réclament glaces et bombalinos (fameux beignes saupoudrés de sucre de Sidi Bou Saïd) que nous mangeons sur la terrasse de la mosquée.  L'idée de trimballer les 3 valises sur les pavés de pierres et, surtout, dans la pente abrupte du village, m'inquiète, mais je regrette vite d'en avoir parlé.  Amine refuse que je traîne ma grosse valise et la transporte à travers Sidi Bou Saïd tout entier contournant les touristes toujours trop nombreux en fin de journée.  Je ne sais plus comment remercier Amine.

Nous relaxons doucement à l'hôtel avant le souper.  Quand la nuit tombe, Sidi Bou Saïd prend un autre visage que nous découvrons sous la lueur de la pleine lune.