Faut aimer le trouble!

mai 09, 2018 Anne Francoeur 7 Comments

D'une superficie de 5000 km carré, le Chott el-Jérid s'étend à perte de vue de chaque côté de la route qui le traverse.  Cette vaste plaine saline, la plus grande de Tunisie, est vaseuse l'hiver, mais asséchée en été, permettant la récolte de sel.  Quelques courageux vendeurs, sur le point d'être tranformés en statue de sel, sont fouettés par le vent salin qui souffle bruyamment.  Le blanc étincelant fait mal aux yeux.  Nous voilà en route vers le désert du Sahara.
Pour se dégourdir les jambes, nous nous arrêtons pour voir des dunes pétrifiées et un puits artésien qui illustre la difficulté d'obtenir de l'eau dans ce coin perdu du monde.  Selon Bechir, il ne reste pas plus de 5 ans à ce puits, et il faudra creuser encore plus profondément la prochaine fois pour atteindre la nappe phréatique.  À Zaafrane, on troque la voiture pour deux dromadaires qui nous trimballent doucement dans les dunes de sable blanc sous un soleil de plomb.  Il n'y a pas d'autres âmes qui vivent à des kilomètres à la ronde.  Les touristes ne s'arrêtent plus ici.
Douz est à quelques minutes en auto.  Un pick-up nous attend pour nous amener dans un campement pour le dîner.  On chasse les mouches en découvrant le riz djerbien, bien relevé et délicieux.  Éternelle soupe de tomates, éternels briks en entrées, éternelles dattes pour dessert.
Le dernier tronçon de cette journée intensive de route s'amorce, mais cette fois, il nous paraît vraiment interminable.  Le chemin devient soudainement un immense chantier sur pas moins de 75 km.  Les camions élargissent la chaussée pour en faire une route nationale, mais ils en ont encore pour des années de travail.  Il n'y a plus d'asphalte, que du gravier réduit en poudre.  Assis derrière, j'avale la poussière de sable (je vous rappelle que Béchir déteste l'air climatisée et que nous roulons avec toujours au moins une fenêtre ouverte).  Au beau milieu de ce chaos, un café (!) où Éric s'essaye à la toilette turque, dehors, derrière.  Moi je n'ose même pas regarder de peur de me salir les yeux!
En arrivant à Ksar Ghilane, on nous offre la possibilite de faire du quad.  Je ne refuse jamais une occasion de manger du sable (et n'importe quoi pour sortir de la voiture!), alors on m'enseigne en 2 secondes et demi comment conduire ce truc.  Mais finalement, faire de la vitesse dans les dunes, c'est assez excitant, surtout avec la belle lumière de fin de journée.  Je veux tellement m'arrêter pour prendre des photos que je suis toujours bien en arrière du guide et d'Éric.  Je finis par m'enliser pour une photo...quelle idée de m'arrêter en montant une dune!  La randonnée finit trop tôt, j'en aurais pris encore!
Nous ne sommes pas encore arrivés.  Le campement Zlema est à une demi-heure de route en 4x4.  En arrivant enfin, épuisés, nous rangeons nos valises dans notre tente "confortable" et marchons en direction des dunes qui s'étendent juste à nos pieds!  Il y a dans le désert une ambiance indescriptible.  La lumière douce du soleil couchant crée des ombres qui donnent l'impression que les dunes oscillent.  Je pense au générique d'ouverture magnifique du film Le patient anglais.  Je dis à Éric que je veux aller sur la plus haute dune, là-bas, au loin.  S'y rendre demande beaucoup d'énergie, et quand nous croyons être arrivés, il y une dune encore plus haute à atteindre.  Le vent se lève.  Le sable glisse sur le sommet des dunes, créant un effet de mouvement lancinant spectaculaire, comme de l'eau qui coule.  De retour au campement, le vent souffle avec de plus en plus d'insistance.  Le sable s'infiltre partout, et je range ma caméra par mesure de précaution.  Mon visage est couvert de fines particules, et pas question d'aller aux sanitaires public (très propres, il faut le dire) pour m'en débarasser. 
Autour du feu, un berbère démontre comment il fait cuire le pain dans les braises chaudes.  Des Français se demandent qui a composé la chanson qui commence par "Seul sur le sable, les pieds dans l'eau, mon rêve était trop beau...".  Chauvins, ils décident que c'est Jean-Jacques Goldman, et les p'tits Québécois sont trop fatigués pour les contredire!  Le repas se compose de soupe, brik et couscous avant un dodo bien mérité.  On place les draps sur nos petits lits et je commence l'inspection de la tente qui, à ma plus grande peur, est restée entrouverte toute la journée (comme toutes les autres).  Un petit scarabée ici, clac avec le soulier.  Une mouche de sable (c'est le nom que je donne à ce truc ailé), clac avec le soulier.  Ah non, un insecte est entré dans mon sac à dos!  On secoue un peu, et clac avec le soulier.  Mort?  J'espère bien!  Pour les fourmis, rien à faire, il y en a trop dans le coin de la tente, je change de place avec Éric, le tour est joué.  On boucle la tente de l'intérieur.  Trop fatigué pour m'intéresser au papillon de nuit qui vole autour de notre seule petite lumière (y'a l'électricité quand même!), je couvre ma tête avec ma douillette rose en me répetant : faut aimer le trouble!  Je souhaite que tout ce qui se dissimule dans notre petite chambre de fortune dans le fin fond du désert demeure bien caché pour les prochaines heures.  C'est certain, j'ai pas tout tué avec mon soulier!

























7 commentaires:

  1. Il faut vaincre ses peurs, qu'ils disent. Tu vas finir par guérir ta phobie des insectes...
    Le Sahara, le vrai, ça se mérite! Les photos sont magiques.

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  2. Photos magnifiques. Très dépaysant. Vous devez avoir l'impression d'être seuls au monde.

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  3. Quand on entend désert on pense tout de suite au Sahara! Dire que vous y avez mis les pieds, ahhhh que je vous envie. Les photos sont incroyablement belles. Tu as bien fait de t'enliser. Encore une fois un beau texte merci Frédéric

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  4. Magnifiques photos! Quand j'ai vu les photos sur facebook de la tente "confortable", je me suis dit que vous avez certainement eu de la visite et que t'as pas dormi.. . Mais non tu as réussi à dormir!

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  5. Merci pour les beaux commentaires.

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  6. Ça a l’air cool, nonobstant les bebittes!!

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  7. je l'ai vu, je l'ai vu ta signature Frédéric hihihi.

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