C'était bien mieux sous Ben Ali

mai 08, 2018 Anne Francoeur 6 Comments

Une heure de trajet et nous savons déjà que notre guide a 59 ans, deux enfants, que c'était bien mieux sous Ben Ali, que les arabes sont tous des paresseux et qu'il ne fera pas le jeûne du ramadan.  Nous découvrons aussi sa profonde aversion pour l'air conditionnée directement proportionnelle à sa haine des islamistes.  C'est donc toutes les vitres baissées dans la Chevrolet Aveo que nous filons vers le Grand Sud Tunisien avec la radio qui s'éteint quand l'appel de la prière se fait entendre.  Mes tympans n'en peuvent plus de ce battement du vent qui ne cesse jamais.  Vous le devinez, ce n'est pas vraiment un coup de coeur pour Bechir, ce guide sorti d'une autre époque avec qui nous passerons...la prochaine semaine!
Sbeïtla remplace Kairouan comme première visite du tour.  Dans la ville, nous sommes accueillis par une procession funéraire.  Le corps est transporté simplement recouvert d'un linge blanc (je détourne le regard), et la moitié de la ville suit le cortège.  L'autre moitié nous attend sur le site archéologique pour nous vendre des p'tites roches ou des pièces de monnaie antiques (on y croit!).  Sbeïtla constitue les vestiges de l'ancienne Sufetula, ville fondée par les Romains au 1er siècle.  Le plus spectaculaire demeure les trois temples du capitole voués à Jupiter, Junon et Minerve.  Malheureusement, un vilain nuage gris s'accroche aux montagnes derrière qui indiquent l'Algérie.
L'heure du déjeuner a sonné et j'ai de bonne foi accepté de manger de la viande grillée.  Ce que j'ignorais, c'est que ça impliquait de s'arrêter dans un de ces nombreux kiosques où la peau du mouton fraîchement abattu est exposée pour montrer l'âge de l'animal.  Mon coeur n'est pas assez solide pour manger en tête-à-tête avec la peau de la bête que je dévore, alors je décrète qu'il faudra trouver autre chose.  Cette autre chose sera du poulet chez Mona Liza en plein coeur d'un  village sans nom qui réussit à survivre sans que personne ne sache trop comment.
Plus on va vers le sud et plus la pauvreté se fait sentir.  La ville des mines de phosphate, Gafsa, est un dépotoir à ciel ouvert que Dieu, peu importe lequel, a abandonné à jamais à sa propre misère.  Pas surprenant d'apprendre que la Révolution tunisienne a pris naissance ici dans un tumulte de grèves reflétant l'insatisfaction de la population oubliée à son triste sort.  En regardant le décor, je me demande ce qui a changé depuis 2011 sauf peut-être les voiles que portent maintenant les femmes.
Le trajet est long jusqu'à Tozeur, une des oasis qui peuplent le désert tunisien.  La palmeraie compte plus de 350 000 palmiers, et le patron de la place semble avoir décidé de tous nous les montrer un à un.  Son discours sur les dattes peut en fait se résumer en quelques mots : ça soigne tout, ça guérit tout, c'est bon pour tout.  Sympathique, il se met en tête de nous faire goûter aux mûres à défaut de pouvoir manger des dattes, hors saison.  Il cueille les mûres qu'il remet à Éric ou à moi, selon la main vide sur laquelle il tombe.  Sur le bord de la nausée, j'en jette de plus en plus sur le terrain pendant qu'Éric, qui ne fournit plus, se tache avec le jus mauve du fruit.  Son t-shirt tout neuf!!!  Le bonhomme ne se rend compte de rien et cueille, et cueille et cueille tout en lançant dans une allégorie comparant la palmeraie au jardin d'éden.
On a fait beaucoup de route aujourd'hui, et on en a un peu marre quand le temps de déguster les sirops et autres confitures de dattes arrive après la visite trop longue.  Le monsieur nous met une confiture épaisse sous la langue et nous dit que de ne pas avaler.  On attend l'effet (ça doit déboucher le nez...),  mais rien ne se fait sentir.  Tous les deux la bouche pleine, on se regarde en réprimant un fou rire attendant qu'on puisse enfin avaler ce truc et aller se reposer.
Bechir est aussi technologique qu'un pygmée.  Bien que je lui explique que mon cellulaire va me conduire au resto de ce soir, il tient à me montrer la rue par laquelle passer, mais il est plus mélangé que moi.  Ma question était simplement si c'était sage de se promener à Tozeur de nuit et la réponse simple était oui.
La pizza est bonne à La Fontana, mais on froisse le serveur en nous levant pour payer en salle à manger.  On se réfugie sur le toit de notre Dar Saida Beya, agréable terrasse qu'on ouvre juste pour nous.  Notre chambre au rez-de-chaussée est envahie par une colonie de fourmis et on ne peut que constater les efforts pour les décimer sur le tapis de mon côté du lit où gisent les petits corps recroquevillés.  Éric s'agite dans le lit pendant que j'écris un texte, donne une pichenotte, puis quelques coups de coussin, c'était juste une fourmi!...







6 commentaires:

  1. Impressionnants les temples. Vous pouvoir tout nous expliquer du monde des dattes à votre retour.

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  2. Belles photos, particulièrement celles avec un premier plan en dalles nous faisant littéralement entrer dans l'image

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  3. Quelle aventure le sud tunisien! Y retourneriez-vous?
    En tout cas, ça t'a inspiré un beau texte plein d'humour.

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